Accéder au contenu principal

La putophobie

 Ecrit par Evy

 

 

Le plus vieux métier du monde est-il aussi le plus discriminé ?

 

 

La « putophobie », une discrimination dont on parle peu

La putophobie, dont la définition semble simple (la discrimination des travailleurs et travailleuses du sexe), s’étend en fait beaucoup plus largement. Elle touche en réalité toutes les femmes, car quelle femme ne s’est jamais fait traiter de pute ? La putophobie, c’est rendre le travail du sexe répugnant aux yeux de tous. Le mot « pute » devient ainsi une insulte forte. Comme si une femme perdait toute sa dignité et même son humanité en faisant ce travail. 

Gail Pheterson écrit dans son ouvrage Le prisme de la prostitution que « la menace du stigmate de putain agit comme un fouet qui maintient l’humanité femelle dans un état de pure subordination » Elle explique que ce stigmate empêche les femmes d’être maîtresses de leurs choix et de leur vie.

Virginie Despentes, dans son essai King King Théorie, affirme que « les femmes qui font ce travail sont immédiatement stigmatisées, elles appartiennent à une catégorie unique : victimes ». Elle décrit là un autre aspect de la putophobie : le stéréotype de la/le travaill.eur.euse du sexe victime, qui a besoin d’aide, qui est perdu.e. Alors que non : certain.e.s sont victimes, sous l’emprise d’un proxénète mais d’autres, dont beaucoup que j’ai rencontrées, sont fières de faire ce métier et ne demandent pas d’aide. Enfin si, la plupart demandent à revoir les lois. Car la putophobie se diffuse aussi au travers de la loi (voir article page suivante).

Beaucoup de prostituées demandent une loi contre la putophobie, au même titre que l’homophobie. On a pu entendre ce point de vue dans le podcast La politique des putes ; quand j’en ai parlé à des concernées, iels étaient d’accord avec ça. Cela permettrait une vraie reconnaissance de l’État et donc de leur donner une place dans cette société

 

Des lois par elles-mêmes discriminatoires

La plupart des lois sur la prostitution découlent d’un point de vue putophobe et de l’abolitionnisme relayé par certains mouvements féministes dans le monde. Depuis 2016, en France, une loi pénalise les clients. La majorité des concernés trouvent cette loi aggravante pour le situation des travaill.eurs.euses du sexe.

Dans les témoignages que j’ai pu recueillir, beaucoup reprennent la même idée : cette loi pousse les travaill.eurs.euses du sexe hors des centres villes, dans des endroits beaucoup moins passants, et empêche les « bons clients », ceux qu’elles savent respectueux, d’aller les voir. Elles se retrouvent donc dans des lieux isolés, avec des clients qu’elles ne connaissent pas forcément et qui peuvent s’avérer dangereux.

La loi sur le proxénétisme est très mal faite et empêche l’entraide entre travaill.eurs.euses du sexe. Le compte instagram selonloisabolos montre très bien l’absurdité de cette loi, je vous invite à le consulter.

Le podcast La politique des putes évoque le parcours de sortie mis en place pour « renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées ». Aucun.e concerné.e ne m’en avait parlé : en écoutant le podcast, j’ai compris pourquoi. Premièrement, pour avoir le droit à ce parcours, il faut être résident français ou obtenir un titre de séjour provisoire, ce qui n’est vraiment pas facile et demande de la patience. Par la suite, le budget alloué en plus des logements sociaux - pas toujours accessibles - est de 330 euros par mois, somme qui ne permet pas de survivre. Il paraît donc logique que très peu de concerné.e.s aient recours à cette aide et que beaucoup préfèrent vivre avec l’argent qu’elle gagnent par leur travail.

 

Des associations soutiennent les travaill.eur.euse.s du sexe

Comment parler du travail du sexe dans parler du Strass, le syndicat du travail sexuel ? Il existe depuis 2009 en France. Une visite sur leur site internet permet de comprendre que le Strass se bat pour tout.es les travaill.eurs.euses du sexe, leurs droits, leur représentation, leurs libertés et leur permet de prendre la parole.

Jasmine est un programme créé par Médecins du monde pour lutter contre les violences faites aux travaill.eurs.euses du sexe dans leur activité. Il permet de lancer des alertes, donc d’informer sur des clients dangereux, de dénoncer une agression pour que les travaill.eurs.euses du sexe se protègent mieux. Il les informe aussi sur les lois pour qu’ils/elles puissent faire face à la police en connaissant leurs droits. Sur le site internet de Jasmine, on peut trouver toutes les coordonnées des associations qui protègent et aident les travaill.eurs.euses du sexe.

Les « roses d’acier » est une alliance de femmes qui aide les travailleuses du sexe chinoises, à l’instar du Strass. Leur but : améliorer leurs conditions de travail et se soutenir entre professionnelles d’origine chinoise.

Créée en 2010, Acceptess-T est une association qui se concentre sur la défense des personnes transgenres, souvent précarisées. Elle aide, propose des activités et fait de la prévention des IST et du VIH. En effet, il ne faut pas oublier que beaucoup de travaill.eurs.euses du sexe sont transgenres. La prise de parole des fondatrices de cette association m’a beaucoup touchée (cf podcast xxx). 

 

Être pute peut-il être un vrai choix de vie ?

La question du choix et du désir est délicate. Les discours abolitionnistes prétendent que la prostitution serait un viol tarifé.

Cette allégation est dangereuse : si tous ses rapports étaient considérés comme des viols, un.e travaill.eur.euse du sexe qui se ferait violer par un client ne pourrait donc pas aller porter plainte... Ce discours enlève de la légitimité aux concerné.es.

Il faut savoir que certain.es travaill.eurs.euses du sexe choisissent ce métier. Plusieurs sources et témoignages en attestent. Dans King Kong Théorie, Virginie Despentes écrit « La prostitution a été une étape cruciale, dans mon cas, de reconstruction après le viol ». Dans son essai, elle explique qu’exercer ce métier a été un choix et qu’il lui a apporté beaucoup dans sa reconstruction : cela peut diviser mais son expérience mérite d’être connue. Une autre autrice parle de choix et désir : Emma Becker, dans son livre La maison, relate ses années dans une maison close où elle a fait le choix de travailler. Elle y raconte que plusieurs filles prenaient du plaisir avec les clients et même le recherchaient.

Ce point de vue interroge la notion même de travail. Dans notre société capitaliste, nous sommes obligés de travailler. J’ai rencontré des travailleuses du sexe anarchistes pour qui le travail du sexe, sans patron, était une forme, je cite, « d’émancipation de cette société qui les étouffaient ». Elles m’ont expliqué qu’elles pouvaient choisir leurs horaires, leurs jours de repos, leurs clients. Et pour elles, cette liberté est comme un combat contre la société.

Bien sûr, beaucoup de travaill.eurs.euses du sexe sont sous l’emprise d’un proxénète, mais c’est une autre réalité de ce travail que j’ai choisi d’aborder ici.

 

 

Les clichés sur la prostitution entretiennent la discrimination

La représentation de la prostitution dans la société, dans nos films et séries, est empreinte de putophobie. J’ai explicité précédemment que notre société est putophobe : elle est aussi patriarcale, transphobe, raciste, homophobe, grossophobe et j’en passe.

Hélas, cela n’a pas changé depuis des siècles et les stéréotypes sur la prostitution, basés sur la supériorité du mâle blanc, alimentent à l’égard des travailleuses du sexe des sentiments qui vont de la pitié au rejet.

Prenons l’exemple de Pretty Woman. Ce film présente la prostituée comme une femme qui attend son sauveur, comme dans nos chers contes de fées. Ce sauveur est un homme blanc, charismatique et riche. Cette représentation de la prostitution dans un film que des millions de spectateurs ont vu et aimé est construit sur des stéréotypes dégradants pour la femme.

Il y a tant d’autres exemples ! Prenons les clips de rap : on y trouve toujours un triptyque « drogue, pute, alcool ».

On pense que ce travail est sale ainsi que ce qu’il y a autour. Dans l’imaginaire collectif, une travailleuse du sexe doit forcément se droguer, être alcoolique, fumer, être triste. Dans nos représentations, il est impossible qu’une travailleuse du sexe soit heureuse et fasse juste son travail.

Quand Virginie Despentes dit qu’il faut « tout foutre en l’air », elle parle aussi de cela, de notre société qui met avant tout en valeur les hommes blancs, hétéros et riches. Si tant de personnes rejettent les travailleuses du sexe, si tant de médias en parlent sans leur donner la parole, c’est tout simplement car la sexualité des femmes dérange.

La situation des travailleurs migrants qui viennent travailler dans des champs en Europe pour trois fois rien ne suscite pas autant de débats car ce sont majoritairement des hommes et qu’il n’est pas question de sexe. Pourtant, ils sont victimes d’exploitation.

Alors, ne serait-il pas temps de s’interroger sur nos représentations et d’entamer un travail de déconstruction sur la question de la prostitution ?

 

 

 

 


 Dessiné par Eloïse

 
 
 
Sketch-noté par Marion (Mémorial du Camp de Rivesaltes)
 
 
 


 

 



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les discriminations faites aux femmes

  Vue et étudié par Jade     Pourquoi le choix de ce sujet ? Elle a toujours été intéressée par la question de la femme dans la société. Dans son temps libre, elle s’éduque sur le sujet, notamment via des vidéos YouTube. Dessiné par Eloïse             Sketch-noté par Marion (Mémorial du Camp de Rivesaltes)                

La transphobie

Filmé et vu par Sophia & Cody    https://youtu.be/_jicxr06CgE     Dessiné par Eloïse   Pourquoi le choix de ce sujet ? Cody a choisi le sujet et Sophia a décidé de travailler avec lui. Il a eu une période de questionnement sur son identité et après s’être renseigné sur le sujet, il a pensé important de partager son savoir.   Sketch-noté par Marion (Mémorial du Camp de Rivesaltes)  

La grossophobie

 Écrit par Ambre Eh toi, la grosse vache !!!!!! Dans la rue, dans la cour, au travail, dans les transports publics, si vous tendez vos oreilles, vous pouvez entendre ce genre de propos. Il s’agit d’une discrimination nommée la grossophobie. Connaissez-vous ce mot ? Il n’est rentré dans le dictionnaire qu’en 2019, il désigne les comportements stigmatisants et discriminants envers ceux et celles qui sont obèses ou en surpoids. Ce phénomène valorise la minceur. Commençons par les chiffres : 10 millions de personnes sont obèses en France, dans le monde en 2016 plus de 1,9 milliard de personnes étaient en surpoids. C’est à partir de 1987 que l’obésité est reconnue comme étant une maladie. La grossophobie dans la société Gabrielle Deydier, une autrice, explique dans son roman « On ne naît pas grosse » que « lorsque l’on sort de la norme, lorsque l’on déborde, la vie se complique ». Des témoignages et des études ont prouvé que les personnes en surpoids sont mises